Le 30 octobre 2022
La Foire internationale du livre de Francfort (FBM - Frankfurter Buchmesse) a profondément évolué au cours de ces dernières années. Son édition 2022 est doublement affectée : par l’environnement post-Covid, d’une part, et par le risque que la guerre russe contre l’Ukraine s’étende au reste de l’Europe, d’autre part.
Le directeur des Relations internationales du Centre Wiesenthal, Shimon Samuels, rappelle que le Centre surveille chaque année les livres antisémites sur les étagères de six salons du livre arabes. Les titres de livres et les éditeurs fomentant la haine sont ensuite signalés à « la foire des foires », à Francfort. Chaque automne, ses organisateurs font en sorte que ceux-ci – la plupart sont des récidivistes – se voient refuser l’accès de la FBM, conformément à son règlement.
Lors de la conférence de presse d’inauguration, le directeur et PDG de la Foire internationale du livre de Francfort, Juergen Boos, a constaté le nombre réduit de stands par rapport aux années pré-Covid, car de nombreux petits éditeurs se trouvaient en difficulté sous l’effet de la pandémie et beaucoup se sont résolus à rejoindre des stands collectifs.
Avec le troisième anniversaire des accords d’Abraham, les ouvrages haineux ont ostensiblement disparu de plusieurs grands salons du livre arabes, mais on les retrouve dans d’autres salons comme à Damas, en Syrie, ou à Benghazi, en Libye, et en Égypte.
De plus, les stands officiels russes et iraniens étaient absents à Francfort – interdits en raison de la situation géopolitique actuelle –, mais plusieurs dissidents iraniens ont assisté aux conférences publiques. Les discussions ont porté sur la répression décrétée par le régime iranien, mais aussi sur la guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’opposition russe en exil, la situation en Afghanistan et l’avenir difficile de l’Europe.
En 2015, l’Iran avait boycotté le FBM en raison de la présence du romancier Salman Rushdie, qui en était l’invité d’honneur. La fatwa de l’ayatollah Khomeiny pour le punir, lancée il y a trente-trois ans, a presque réussi en août, lorsque Rushdie a été poignardé à plusieurs reprises.
Cette année-là, j’avais interviewé un responsable iranien dans leur pavillon vide. Je lui avais demandé pourquoi l’Iran déteste Israël. Il m’avait répondu : « Pour soutenir les Palestiniens. » « Et si les Palestiniens faisaient la paix avec Israël ? », ai-je insisté. Sa réponse : « Ils ne la feront pas, car nous ne les laisserons pas ! »
Plus tôt ce mois-ci, nous avons révélé l’antisémitisme de la lauréate du prix Nobel de littérature 2022, Annie Ernaux. On ne l’a pas vue à la FBM.
Par rapport aux foires précédentes, la plupart des stands arabes ont exposé cette année beaucoup moins de livres que d’habitude, invoquant des difficultés logistiques en temps de crise. Nous avons donc également vérifié les catalogues des éditeurs.
Nous avons repéré l’éditeur Dar Ghar Hira sur le stand collectif syrien, avec plusieurs livres antisémites du tristement notoire Abdul Majeed Hamo, en particulier :
A) Les Cananéens et la Torah déformée
« L’impact des Cananéens sur la religion juive, car les Juifs ont pris de ces derniers ‘‘El’’, l’Assemblée divine, le culte de Baal et même la langue qu’ils appelaient ‘‘la lèvre de Canaan’’. Nous étions Canaan, mais ils [les Juifs] ont tout volé de notre civilisation, ils l’ont falsifiée et déformée pour se l’approprier. »
B) Le judaïsme est-il une religion céleste ?
« Les peuples se sont intéressés à cette religion [le judaïsme] depuis l’antiquité et ils la considéraient comme céleste en tant que religion de Moïse, ‘‘Moussa’’, que la paix soit avec lui. Mais il y avait deux écritures, la mosaïque et la juive. Le livre actuel de la Torah est un texte païen qui appelle au culte de ‘‘dieux nombreux’’ : El, Baal, Astarté, Anah, Aden, Tambul, Jéhovah... »
C) Babylone et la distorsion de la Torah
« Les Juifs ont déformé les enseignements de Dieu pour satisfaire leurs péchés. »
Le prolifique Abdul Majeed Hamo est également l’auteur d’autres livres similaires : La Torah et la Palestine : d’où vient la Torah ? – « Kamal Salih a essayé de pénétrer la mentalité arabe, décidant que les Juifs sont les fils de l’Arabie. Leur archéologie est pervertie et falsifiée » – et Dieu ou Jéhovah – Quel est le Dieu des Juifs ? – « Les Juifs ne connaissaient pas Dieu et ils ne le vénéraient pas. Par la ruse et la tromperie, ils se purifient devant le peuple. Ils se vénèrent les uns les autres. »
Parmi les autres livres et auteurs publiés par l’éditeur syrien Dar Ghar Hira, il convient de noter :
D) Le jour de la colère, par Safar bin Abdul-Rahman al-Hawali
Il s’agit d’un traité sur la seconde Intifada, qui affirme que « les prophéties bibliques adoptées par les fondamentalistes chrétiens pour soutenir l’État d’Israël prédisent en fait sa destruction ».
E) Le message chez Sabbataï Tsevi et Abdullah ibn Saba, par Ahmed Mahmoud Al-Shorbaji
« Ce livre dévoile les conspirations juives contre le monde musulman. »
Un éditeur égyptien, Aseer Al-Kotob, a exposé quelques livres, parmi lesquels :
F) L’Antéchrist, par Ahmed Khaled Mustafa
« Un roman qui allie fiction et réalité... Avec l’avènement de la civilisation islamique, ce roman explique comment l’islam a combattu la sorcellerie et la magie noire des Juifs... L’émergence de la conspiration et des croisades... et le rôle des Juifs pour contrôler les peuples et les gouvernements depuis des temps immémoriaux, leur relation avec la magie et les démons, et leur tentative de contrôler le monde en utilisant cette science perfide. Le grand rôle que les Juifs ont joué dans la formation de la nouvelle Europe laïque au cours des dix derniers siècles... inventions technologiques, émergence des ondes radio... l’exploitation et l’utilisation des médias pour promouvoir l’Antéchrist... des stations de radio qui diffusent des messages – ‘‘Le temps est venu !’’ – et ainsi de suite, en langage crypté... Ces stations de radio étaient à la merci des Juifs. »
G) Dans son catalogue, Aseer Al-Kotob présente également une nouvelle édition de Mein Kampf d’Adolf Hitler !
La librairie Ketabak, établie en Allemagne, exposait une collection d’éditeurs de différents pays arabes, parmi lesquels Bibliomania Publishings (basé au Caire, en Égypte). À son répertoire :
H) Les familles juives capitalistes et leur rôle dans la politique mondiale (Rothschild - Rockefeller), par Mohamed Ashour, Rania Mustafa Al-Ashry et Medhat Mohamed Abdel-Harith
Cet ouvrage prétend que l’influence juive se ressent dans les banques, les médias, la pornographie, etc. Dans sa présentation en ligne (en arabe), les auteurs déclarent :
« Les Juifs étaient et sont toujours les détenteurs du mal, de la ruine et de la destruction dans ce monde. Tout mal sur cette terre leur est dû. Ce sont les assassins des prophètes, et ce sont les ennemis de la civilisation. Ce sont eux qui ont tué et déplacé des milliers d’innocents, et ce sont eux qui ont fait commerce de la santé de millions de personnes, de milliers d’honneurs, ils ont violé les valeurs sacrées de millions de personnes, pillé et volé les ressources des peuples, falsifié l’Histoire. Ils ont manipulé l’esprit de milliards de personnes et n’ont fait tout cela que pour leurs propres intérêts et les gains matériels qu’ils ont réalisés. »
En même temps que la Foire du livre de Francfort se tenait la Foire du livre de Benghazi, en Libye. L’éditeur égyptien Bibliomania y exposait Mein Kampf d’Adolf Hitler sur son stand débordant de livres, comme on peut le voir sur sa page Facebook :
https://www.facebook.com/bibliomania.eg/photos/pcb.3498492453719367/3498492237052722
Cette année, une série de facteurs ont permis de réduire l’antisémitisme et la haine par rapport à ce que nous avions constaté au cours des dernières décennies à la Foire du livre de Francfort. À savoir, l’absence de stand iranien officiel et la faible présence de la Syrie. D’autres stands arabes respectent maintenant le code de conduite de la FBM et les accords d’Abraham. Les stands égyptiens abritaient des éditeurs mixtes, dont certains proposaient des textes antisémites.
Inutile de dire que le « Prix de la haine » 2022 du Centre Wiesenthal est décerné à la Syrie. Le second prix revient à l’Égypte.
Nous félicitons Cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, émir de Dubaï, et la Foire du livre de Francfort pour le partenariat qu’ils ont établi – une première étape dans le monde arabe – dans les domaines du livre, des salons, des festivals de films, des jeux, de l’art et de la technologie.
« Le Centre Wiesenthal est prêt à collaborer avec ce partenariat stratégique pour pourchasser toutes formes de sectarisme et de haine. Cette ‘‘nouvelle’’ réalité peut aider à comprendre la raison de nos vingt années de traque de l’antisémitisme dans les salons du livre. Notre travail s’est ressenti dans les événements récents, bien que la présence de Mein Kampf, des Protocoles des Sages de Sion et autres soit encore fréquente. À ce titre, nous sommes fiers de travailler avec la Foire internationale du livre de Francfort, pour nous assurer que les éditeurs haineux demeurent proscrits ou que leur présence soit considérablement limitée », concluait Shimon Samuels.
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Pour plus d’informations, contactez Shimon Samuels à csweurope@gmail.com
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