Éditorial de Shimon Samuels publié en anglais dans The Times of Israel
le 28 janvier 2022
https://blogs.timesofisrael.com/happy-as-a-jew-in-france-what-happened-to-smash-the-dream/
Le Centre Wiesenthal avait choisi d’ouvrir son bureau à Paris car la France abritait – et abrite toujours – les plus grandes communautés juive et musulmane d’Europe. Bien que le recensement religieux n’ait pas sa place dans les statistiques françaises officielles, on estime que vivent en France quelque cinq cent mille juifs et plus de quatre millions de musulmans.
Malgré l’affaire Dreyfus de 1894 qui a révélé un grand schisme entre ses partisans et les antisémites, malgré le rôle collaborationniste joué par le gouvernement de Vichy dans la traque des Juifs et la déportation de plus de soixante-douze mille d’entre eux vers les camps de la mort, le dicton « Heureux comme un Juif en France » persistait toujours.
Dans les années 1960, la décolonisation de l’Afrique du Nord et l’instauration de gouvernements nationalistes arabes ont entraîné des actes de violence qui ont envoyé de nombreux Juifs à Paris, Marseille et dans d’autres villes de la métropole.
Les choses allaient relativement bien dans les années 1970, mais tout s’est effondré à la fin de 1979, avec l’attentat à la bombe d’une cafétéria universitaire (cogérée par le Crous et le Foyer israélite) accueillant des étudiants juifs à Paris, suivi, en 1980, de l’attentat à la bombe de la rue Copernic et, en 1982, de la fusillade de la rue des Rosiers. Ces attaques ont été perpétrées par des terroristes venus du Moyen-Orient, avec une aide locale. C’était aussi l’ère des détournements d’avions et d’un intense terrorisme politique, qui a pris fin grâce à des mesures de répression du gouvernement.
Quelque vingt ans plus tard, la scène avait changé, alors que de jeunes musulmans radicalisés natifs de France rejouaient l’Intifada palestinienne : « les Israéliens » étaient leurs voisins juifs ciblés comme « riches ». Une combinaison d’opportunités financières et de violence a amené de jeunes Juifs à quitter la France, principalement pour Londres, Montréal, Miami et Israël.
Comme les agressions s’amplifiaient – de l’enlèvement, la torture et le meurtre d’Ilan Halimi en 2006 à la tuerie islamiste d’un « loup solitaire » en 2012 dans une école juive de Toulouse, de l’assassinat d’otages dans le supermarché Hyper Cacher en 2015 aux abominables meurtres antisémites de Sarah Halimi en 2017 et de Mireille Knoll, survivante de la Shoah, en 2018 –, les Juifs sont partis en plus grand nombre pour Israël. D’autres, qui vivaient dans des banlieues, ont déménagé dans les grandes villes, qui ont vu un afflux de population juive à la recherche d’un environnement plus sécuritaire.
Après les attentats de janvier 2015, le président Hollande avait posté des unités militaires devant toutes les institutions juives. Deux ans plus tard, ils avaient été retirés. Lors d’une réunion que j’ai eue avec le ministre de l’Intérieur, je l’ai supplié de répéter ces mots lors de la commémoration de l’Hyper Cacher : « Il y a deux mille policiers en civil dans la foule. » Je lui ai dit : « Monsieur le Ministre, après le départ des soldats, veuillez annoncer qu’il y a toujours des agents en civil, même s’il n’y en a pas. » Il a accepté, mais n’a pas donné suite.
Le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) fait état d’une augmentation de 75 % des incidents antisémites par rapport à l’année dernière et d’une peur croissante de la violence qui s’ensuit. Une situation qui risque d’engranger un plus grand nombre de départs de Juifs de France, mais une grande majorité de la communauté restera. La question est de savoir si elle se sentira à nouveau « heureuse comme un Juif en France » !
Shimon Samuels est le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal. Il a occupé les fonctions de directeur adjoint de l’Institut Leonard Davis sur les relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem, directeur européen de la Ligue antidiffamation et directeur israélien de l’American Jewish Committee. Il est né au Royaume-Uni où il a fait ses études, ainsi qu’en Israël, aux États-Unis et au Japon.