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Éditorial de Shimon Samuels et Alex Uberti publié en anglais dans the Jerusalem Post
le 15 décembre 2021
https://www.jpost.com/opinion/the-consequences-of-deals-with-antisemitic-terror-688841

Les gouvernements européens ont conclu des « accords » avec les terroristes palestiniens, en échange de ce qui était considéré comme des concessions « limitées » et des dommages collatéraux, mais dans de trop nombreux cas cela signifiait sacrifier des vies juives.

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La Grande Synagogue de Rome. Les autorités italiennes ont prétendu que l’attentat de 1982
les a surprises, bien qu’elles aient été averties de menaces pesant sur des cibles juives en Italie
(photo Remo Casilli/Reuters).

Le 9 octobre 1982 – à la fin de Souccot –, un groupe de cinq Palestiniens a attaqué la Grande Synagogue, dans le centre de Rome, à l’aide de grenades et de mitraillettes. Bilan : un enfant de deux ans tué, Stefano Gaj Taché, et trente-sept fidèles blessés. L’attentat semblait avoir surpris les autorités italiennes, bien qu’elles aient été averties de menaces pesant sur des cibles juives, en Italie en particulier et en Europe en général.

Ceci à la suite de l’opération militaire « Paix en Galilée » de juin 1982, qui avait pour but de briser les réseaux terroristes palestiniens au Sud-Liban. Un des effets secondaires de cette opération a été la fuite de dizaines de terroristes d’origine européenne, qui ont quitté les camps d’entraînement de l’OLP pour retourner chez eux... emportant une nouvelle vague de terrorisme en France, en Italie et en Autriche, entre autres.

Alors pourquoi, en 1982, les forces de sécurité italiennes ont-elles manifesté de la surprise ? Pourquoi n’y avait-il pas de policiers stationnés près de la synagogue, comme cela a été le cas depuis ?

Peut-être à cause de ce qu’on a appelé le Lodo Moro, un pacte secret de non-agression entre l’État italien et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Cette organisation, qui fait partie de l’OLP, est responsable du sanglant massacre de l’aéroport de Rome-Fiumicino (34 tués, plus de 20 blessés), perpétré une décennie plus tôt, le 17 décembre 1973.

Cet « accord » – qui doit son nom au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Aldo Moro, mais qui a été négocié par les services de renseignement italiens – a permis au FPLP de circuler librement avec des armes et des explosifs sur la Péninsule, bénéficiant souvent de l’aide de groupes subversifs italiens, en échange d’une garantie de ne pas attaquer l’Italie ou des intérêts italiens à l’étranger. Ce n’était qu’un accord verbal, mais il a émergé lors des travaux d’une commission d’enquête parlementaire italienne à la fin des années 1990, puis il a été révélé par les médias en 2015 (Quotidiano Nazionale du 8 octobre).

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Des militants palestiniens du Front populaire de libération de la Palestine brûlent des représentations
d’un drapeau israélien et d’un drapeau américain lors d’une manifestation contre la décision de Trump
de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, dans la ville de Gaza, le 7 décembre 2017
(photo Reuters/Mohammed Salem).
 

Le Lodo Moro n’incluait pas le Conseil révolutionnaire du Fatah, alias l’Organisation Abou-Nidal, qui s’opposait à l’OLP. L’attentat terroriste de la Grande Synagogue de Rome avait en fait été conçu par Abou Nidal. Le seul auteur connu de cet attentat, Oussama Abdel al-Zomar, est libre. Il vivrait à Tripoli, en Libye.

Sans le privilège d’un autre accord, le Conseil révolutionnaire du Fatah allait à nouveau frapper l’Italie en 1985, aux guichets El Al et TWA de l’aéroport de Fiumicino, faisant 19 morts et 140 blessés.

Cette même année, en dépit du Lodo Moro, le FPLP a détourné le navire de croisière italien Achille Lauro. Un paraplégique juif américain, Leon Klinghoffer, y a été abattu et jeté par-dessus bord. Une grave crise diplomatique entre les États-Unis et l’Italie s‘en est suivie.

À la suite de la vague d’attentats terroristes perpétrés en Europe dans les années 1980 contre des cibles juives, notre bureau a été informé qu’un « accord verbal » similaire avait été conclu par le service français du renseignement (DST) avec l’Organisation Abou-Nidal. Accord qui conférait à cette dernière « la liberté de circulation en France en contrepartie d’un moratoire sur toute violence commise en territoire français ». En l’absence de source fiable, nous n’avons d’abord pas cru à cette information effarante. Pourtant elle a été récemment reconnue dans une interview avec un ancien chef de la DST, Yves Bonnet (Le Parisien du 8 août 2019).

Shimon Samuels avait été approché par un pilote d’Air France, qui affirmait que des armes en provenance du Venezuela avaient été acheminées par voie maritime vers les îles françaises de la Martinique et de la Guadeloupe. De là, elles auraient été transportées à Paris par avion sur ce qui était considéré comme des lignes intérieures, non soumises à la réglementation douanière. Les armes seraient ensuite parvenues à « l’ambassade » de l’OLP à Paris. La question avait été soulevée auprès d’un conseiller du président François Mitterrand, mais elle était restée sans réponse.

Le 24 mai 1982, l’ambassade de France au Liban a été bombardée, faisant 12 morts et 30 blessés. En juillet, « l’ambassadeur » de l’OLP en France, Ibrahim Souss, a été appelé à l’Élysée au sujet de l’arrivée d’armes en France. Le 9 août, le groupe terroriste Abou-Nidal a mitraillé le restaurant Goldenberg, dans le quartier juif de Paris, faisant 6 morts et 22 blessés. C’est apparemment à ce moment-là que – selon le lanceur d’alerte Yves Bonnet – « l’accord » de Paris entre les services secrets et les terroristes a été conclu.

Au cours de ces années, des accords similaires étaient régulièrement conclus avec des organisations terroristes palestiniennes, par exemple en Autriche. Lors d’une prise d’otages de réfugiés juifs dans une gare autrichienne en septembre 1973, les autorités avaient conclu un accord confidentiel avec les Palestiniens, négocié dans une frénésie de réunions, en présence des ambassadeurs du Liban, de l’Égypte et de l’Irak. Le gouvernement avait cédé et, en contrepartie de la libération des otages, avait donné un sauf-conduit aux terroristes, mais promis de ne plus accorder de facilités de transit aux Juifs soviétiques qui émigraient en Israël via l’Autriche.

Un autre attentat terroriste a été perpétré en 1975, fomenté par Carlos dit le Chacal pour le compte du FPLP, contre une réunion de l’OPEP à Vienne. Trois personnes y ont été tuées et d’autres prises en otage. Le gouvernement autrichien a de nouveau cédé, autorisant une émission de radio appelant les Arabes du monde entier à lancer « une guerre de libération totale ». Les terroristes ont pu partir librement en Algérie, avec leurs otages, et toucher une rançon.

L’ouverture progressive des archives secrètes permettra de faire la lumière sur ces affaires. En collaboration avec la communauté juive italienne, le Centre Wiesenthal exhorte le gouvernement italien à dévoiler ces dossiers.

Après des décennies de recherches et de conjectures, des modèles et des constantes émergent :

- Bien que les groupes terroristes aient des origines et des partis pris idéologiques différents, bon nombre d’entre eux se sont entraînés ensemble au Liban et sont restés par la suite en contact. Ils étaient parfois liés idéologiquement, comme ce fut le cas du groupe néo-nazi militaro-sportif Hoffmann, impliqué dans l’attentat à la bombe de l’Oktoberfest en 1980. Son chef, Karl-Heinz Hoffmann, avait envoyé plusieurs membres du groupe dans des camps d’entraînement du Fatah au Liban. L’OLP avait apparemment décidé que, une fois formés, ces extrémistes antisémites, d’extrême droite ou d’extrême gauche, seraient utilisés contre des cibles israéliennes ou juives ;

- Plusieurs gouvernements – au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais aussi au-delà, en englobant le clivage Est-Ouest – ont volontiers collaboré avec des activités terroristes : financement, asile et formation d’agents à utiliser comme pions « réfutables » pour leurs propres jeux de pouvoir ;

- Des gouvernements européens ont conclu des « accords » – aussi réfutables que possible, mais aussi assez concrets et détaillés –, notamment avec des terroristes palestiniens, en échange de ce qui était considéré comme des concessions « limitées » et des dommages collatéraux ;

- Dans de nombreux cas, ces « concessions », de facto, signifiaient faciliter la coopération criminelle, le trafic d’armes, l’échange de renseignements avec des groupes terroristes, la légitimation de la haine et de la violence ;

- Dans de trop nombreux cas, ces « dommages collatéraux » signifiaient que les vies juives étaient sacrifiables.

Il était nécessaire de faire son mea culpa pour les conséquences désastreuses et honteuses d’accords passés avec des terroristes. Dans son discours d’investiture de 2015, le président Sergio Mattarella a rappelé que « [l’Italie] a payé à plusieurs reprises, dans un passé pas si lointain, le prix de la haine et de l’intolérance. Je ne veux me souvenir que d’un seul nom : Stefano Taché, qui a été tué dans le lâche attentat terroriste contre la synagogue de Rome en octobre 1982. Il n’avait que deux ans. C’était notre bébé, un bébé italien ».

Nous ajoutons : « Que l’on se souvienne de toutes les victimes des ‘‘accords’’ européens. »

Shimon Samuels est le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal. Alex Uberti est chercheur et consultant auprès du Centre Simon Wiesenthal-Europe.