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Editorial de Shimon Samuels publié en anglais dans The Jerusalem Post
le 10 décembre 2019
https://www.jpost.com/Opinion/Cemetery-desecrations-610534

En Europe, parmi les minorités en danger, ce sont principalement les Juifs qui sont tués deux fois. 

10 Dec. 2019
Tombes profanées par des croix gammées dans le cimetière juif de Westhoffen,
près de Strasbourg (photo Reuters).

La semaine dernière, un cimetière juif a encore été vandalisé en Alsace. Cent sept pierres tombales y ont été couvertes de croix gammées.

Un dimanche de septembre 1988, en fin d’après-midi, alors que j’étais parti en voiture de Paris à Londres, je traversais Streatham, une banlieue sud de la capitale britannique. Le hasard m’a fait tourner dans la rue où se trouve le cimetière juif qui abrite vingt-trois membres de ma famille. Je me suis rendu sur la tombe de ma mère, puis ai poursuivi mon chemin vers les plus anciennes rangées où reposent mes grands-parents. Leurs pierres tombales étaient fissurées et abîmées, comme beaucoup d’autres dans cette section.

Je me suis senti comme un chirurgien qui n’opère pas les membres de sa famille.

Depuis des années, mon bureau est submergé de tout un bazar antisémite – un attirail de partis de gauche et de droite, des accessoires religieux et de cultes –, mais jamais je n’ai été personnellement pris à partie.

J’ai fait réparer les tombes de mes grands-parents, à la condition que le portail du cimetière soit verrouillé après les heures de visite et qu’on installe sur les murs un système d’éclairage à détection de mouvement.

Toute profanation de cimetière ou de mémorial de la Shoah – la forme d’antisémitisme la plus lâche qui soit – est un jalon sur la voie du Mal.

L’Alsace a été particulièrement marquée par cette forme de haine des Juifs, et Westhoffen ne sera hélas pas le dernier cas. Mais ce dernier événement m’a permis de renouer ma correspondance avec Stephen Draisin, avocat à Englewood, dans le New Jersey (Etats-Unis). Il m’a rappelé « ce jour, voilà près de trente ans, où nous avons déposé ensemble une gerbe dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, à l’occasion d’une cérémonie commémorative ».

Steve préparait alors son voyage en France et il fut frappé de découvrir que l’office de tourisme français à New York ne sût rien de ce camp, le seul du genre à être implanté en France. Struthof avait « accueilli » plus de cinquante-deux mille prisonniers – dont dix mille cinq cents étaient juifs –, à seulement 30 minutes de route de Strasbourg.

Ce qui était encore plus scandaleux, c’était un petit bâtiment à l’extérieur du camp, désigné comme « chambre à gaz ». Un monument en pierre dénombre aujourd’hui les 86 Juifs – 57 hommes et 29 femmes – qui y furent gazés, à la demande du Hauptsturmführer SS August Hirt, directeur de l’institut de médecine de l’université de Strasbourg. Ce dernier s’était plaint du manque de squelettes pour enseigner l’anatomie. L’Allemagne lui avait répondu en lui sélectionnant les seuls Juifs voués à la mort qui furent renvoyés à l’Ouest, « pour satisfaire des besoins éducatifs ». Après leur gazage, Hirt avait créé sa propre collection de squelettes.

Au nombre des prisonniers se trouvaient des « commissaires judéo-bolcheviques », des résistants de toute l’Europe, des femmes agents de la Direction des opérations spéciales (un service secret britannique), etc. Au total, plus de 22 000 personnes de 32 nationalités différentes furent exterminées et incinérées à Natzweiler-Struthof. Leurs cendres furent jetées dans une fosse qui fait aujourd’hui partie du mémorial.

François Mitterrand, Simone Veil et la résistante Marie-Madeleine Fourcade se sont tournés vers le Centre Simon Wiesenthal et nous avons lancé une campagne – que la chercheuse Diana Mara Henry a par la suite appelée « Retrouver une identité pour surmonter le malaise de la mémoire ».

Nous sommes convenus que la grande croix dans la fosse aux cendres des détenus incinérés devait être accompagnée d’une étoile de David. Un responsable nous a répondu : « Alors il faudrait aussi y mettre les symboles des gitans, des musulmans d’Afrique du Nord et des homosexuels. La croix est le symbole de l’humanité tout entière, de toutes les victimes. »

S. Draisin a souligné qu’« il est déjà assez horrible que des Juifs aient été tués là pour le seul ‘‘crime’’ d’avoir été juifs. Mais maintenant, il semble que leur identité même soit occultée, s’il n’y a aucune étoile de David ».

Nous avons ensuite informé toutes les personnes présentes que l’équipe de CBS « Sunday Morning with Charles Osgood » viendrait filmer cette cérémonie de commémoration dans le camp.

Les responsables se sont soudain ravisés et ont invité Steven et moi-même à poser la première plaque pour reconnaître le destin des Juifs morts dans le camp. La cérémonie a été retransmise par CBS le 2 juillet 1989. S. Draisin y a remercié le Centre Wiesenthal. Puis j’ai pris la parole pour dire : “Me Draisin va rentrer chez lui dans le New Jersey. Quant à moi, mon travail ne sera pas achevé que lorsque nous dévoilerons des plaques pour les gitans, les musulmans d’Afrique du Nord, les homosexuels, etc. »

En fait, Stephen Draisin reste très impliqué dans la Commission du New Jersey pour l’éducation de la Shoah.

Ironie du sort, parmi les minorités en danger en Europe, en ce qui concerne la profanation de cimetières, ce sont principalement les Juifs qui sont tués deux fois.

L’auteur de ces lignes est le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.