Paris, le 9 juillet 2018
Le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal, Shimon Samuels, a ouvert la cérémonie en ces termes : « Ce programme unique de concours d’essais sur la Shoah, coorganisé par l’association Verbe et Lumière-Vigilance (VLV), le Centre Simon Wiesenthal Europe (CSW) et le Centre de recherche et d’éducation Holocauste (Russian Holocaust Centre, RHC), en est maintenant à sa quatorzième édition. Nous invitons chaque année à Paris les cinq étudiants lauréats des pays de l’ex-Union soviétique, qui viennent présenter à l’Unesco les résultats de leurs recherches. »
Les lauréats 2018 étudient respectivement à Moscou, Vladimir, Orel, Petrozadovsk et Berlin (cette dernière lauréate est une stagiaire allemande au RHC à Moscou). Ils ont été sélectionnés parmi plus de deux mille candidats.
Assistaient à la cérémonie les délégations auprès de l’Unesco de Russie, du Canada, d’Allemagne et d’Israël. Stefania Giannini, directrice générale adjointe à l’Education de l’Unesco, a tout d’abord félicité l’initiative des lauréats, soulignant que c’était une occasion de renforcer le programme de l’Organisation en matière d’enseignement des réalités de l’Holocauste, dont font partie le guide d’orientation sur l’enseignement de l’Holocauste et le guide à l’intention des enseignants pour faire reculer l’antisémitisme, ce dernier récemment sorti des presses. Elle a accepté l’éventualité de collaborer avec Verbe et Lumière-Vigilance, le Centre Simon Wiesenthal et le Centre de recherche et d’éducation Holocauste pour publier les essais primés de ces quatorze dernières années. Mme Giannini a cité des extraits des travaux des étudiants et leur a demandé s’ils envisageaient de faire une carrière académique, carrière que le réseau des chaires universitaires de l’Unesco encourage.
Alexei Kovalenko, conseiller auprès de la délégation russe de l’Unesco, a rappelé « les nouvelles vagues d’antisémitisme, de révisionnisme historique, d’islamophobie, de christianophobie… et même de russophobie », avec l’espoir que les étudiants « deviendront d’habiles intervenants qui sauront défendre leur cause dans les sphères universitaires ». M. Kovalenko a précisé que « presque la moitié des six millions de Juifs ont été assassinés sur le territoire de l’Union soviétique – ce fait n’a été compris que bien des années plus tard… Nous sommes à la croisée des chemins… La disparition des témoins… Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique et l’Occident n’avaient pas toujours la même optique, mais nous nous sommes alliés pour nous battre avec la coalition anti-Hitler… Il est temps que nous nous réunissions à nouveau… L’Histoire est une leçon sans fin. »
De gauche à droite, assis : Alexei Mikhailov, Carla Kerkmann, Tatiana Victorova, Michail Zakharov ; debout : Aleksei Rogatykh,
Genc Seiti, Ilya Altman, Laurence Sigal, Stefania Giannini, Georges Haddad, Alla Gerber, Jens Streckert, Graciela Vaserman-Samuels,
Shimon Samuels, Richard Odier, Alexei Kovalenko, Benedetto Zacchiroli, Stéphane Teicher, Alex Uberti.
La présidente du RHC, Alla Gerber, a expliqué que, « quand notre centre a ouvert ses portes, on n’avait pas entendu parler de la Shoah en Union soviétique. C’est pourquoi nous avons défini l’objectif de notre mission en ces termes : ‘‘mémoire et prévention’’ – vous le constaterez dans les approches novatrices de nos étudiants… L’antisémitisme en Russie n’est pas un mouvement organisé, mais depuis que notre fondation a été créée, soit vingt-six ans, notre but essentiel est de comprendre la résurgence de ce mal ».
Le professeur Georges Haddad, président de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a narré son élection alors qu’il avait 29 ans – « le plus jeune, le premier Juif et mathématicien élu président de la Sorbonne ». Il a indiqué que des graffiti antisémites ont surgi sur les murs après sa nomination. M. Haddad avait invité Elie Wiesel, Simone Veil et Bernard Kanovitch à donner une série de conférences sur la Shoah.
- La première par Elie Wiesel sur « Peut-on croire en Dieu après Auschwitz ? », basée sur son livre Le procès de Shamgorod, qui pose la question : « Qui se proposera pour défendre Dieu ? »
- La seconde par Simone Veil sur « Peut-on enseigner la Shoah ? » Sa réponse avait été : « Non, on peut informer, mais pas enseigner ni expliquer… »
- La troisième par André Kaspi sur « Le silence des historiens français » face à l’Holocauste et à la collaboration, et le défi de transmettre l’intransmissible.
Quand le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a demandé à feu Claude Lanzmann : « Que craignez-vous le plus ? », ce dernier a répondu : « L’être humain ! » En somme, a conclu M. Haddad : « La Shoah est le plus grand trou noir de l’histoire humaine… rien ne peut l’égaler. »
Laurence Sigal, fondatrice et ancienne directrice du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, actuellement directrice générale de la Fondation du judaïsme français, a évoqué le film documentaire de Claude Lanzmann Shoah comme « celui qui a changé les règles de la réalisation de films et de documentaires… Claude Lanzmann avait compris qu’après la Seconde Guerre mondiale, les nations étaient trop occupées avec leur propre reconstruction… Elles voulaient aller de l’avant, non pas retourner dans les ténèbres… Ce sont les survivants, les libérateurs, les résistants, les chercheurs, les documentalistes qui se penchaient sur les témoignages et les écrivains qui ont mis en lumière la volonté de vivre… Les victimes meurent une seconde fois lorsqu’il n’y a personne pour se souvenir d’eux… Il faut sans cesse raconter l’Histoire, car les mêmes événements sont sujets à maintes formes de perception à travers les générations. » Mme Sigal a également mis l’accent sur l’art en tant que témoignage et thérapie. Elle a cité l’exemple de la collection Friedl Dicker-Brandeis du Centre Wiesenthal en mémoire de Terezin.
Ilya Altman, président du RHC, a remercié la directrice générale adjointe à l’Education pour son intention de publier à l’Unesco les essais des lauréats. Il a ajouté : « Cette année, l’annonce du concours a été distribuée par l’Office des Nations unies de Moscou. Nous avons ainsi reçu des candidatures depuis l’Equateur jusqu’aux Etats-Unis, puisque ce concours est devenu international… Nous pourrions peut-être rassembler ces étudiants du monde entier, peut-être à la Sorbonne ? »
M. Altman a ensuite introduit chacun des lauréats et les a invités à présenter les résultats de leurs recherches (voir les liens vers les résumés en anglais) :
- Aleksei Mikhailov, étudiant en maîtrise de sciences humaines à l’université d’Etat de Petrozavodsk (vit en Carélie) : « Le problème de compréhension de l’Holocauste dans la communauté académique et politique de Suède dans les années 1990-2000. »
- Tatiana Victorova, étudiante en maîtrise de sciences humaines à l’université d’Etat de Vladimir : « Les problèmes liés à la recherche de documents sur l’histoire du camp d’extermination de Maly Trostenets (Biélorussie). »
- Aleksei Rogatykh, étudiant en maîtrise de sciences humaines à l’université d’Etat des sciences humaines de Russie (Moscou) : « L’Holocauste à travers les yeux des libérateurs d’Auschwitz. »
- Mikhail Zakharov, étudiant en maîtrise de sciences humaines à l’université d’Etat d’Orel : « Vice-versa : la transformation par l’extrême droite européenne de la représentation des Juifs et de l’Holocauste. »
- Carla Kerkmann, étudiante au collège Alice-Salomon (Berlin) : « Comment l’Holocauste affecte-t-il nos vies, quatre générations plus tard ? »
Joseph Moustaki, ministre-conseiller et délégué permanent adjoint de la délégation d’Israël auprès de l’Unesco, a réagi à l’essai de Mikhail Zakharov pour préciser que, « en tant que diplomate, je parle avec tout le monde, mais je n’aurai pas de contact avec ceux qui se proclament pro-Israël simplement pour couvrir leur antisémitisme ». Il a poursuivi en ces termes : « Vos essais sont la voix de ceux qui sont morts. Vous leur donnez une voix au travers de votre message. L’Etat d’Israël vous remercie, ainsi que les organisateurs de ce programme… Parmi la plupart des faits historiques, la Shoah est celui qui sollicite le plus les sentiments et les émotions. Ce genre d’initiative fournit des outils pour contrer les nouvelles formes d’incitation à la haine contre ‘‘l’Autre’’. »
L’ambassadrice du Canada, Mme Elaine Ayotte, a demandé aux étudiants : « Comment vos parents réagissent-ils à votre travail ? Continuez à leur poser des questions ! … Le Canada est fier de financer le Programme d’éducation sur l’Holocauste de l’Unesco. »
Benedetto Zacchiroli, président de la Coalition européenne de villes contre le racisme (Eccar), s’est enquis « des moyens de transmettre l’héritage de l’Holocauste ».
La lauréate allemande, Carla Kerkmann, lui a répondu que « les images ne peuvent pas faire revenir une personne, mais elles demeurent importantes pour sa mémoire ».
Le conseiller de la délégation allemande, Jens Streckert, a félicité « ces jeunes étudiants qui s’engagent à rechercher une multitude de données et à transmettre leur message… » Il a mis l’accent sur « le soutien apporté par l’Allemagne au travail de l’Unesco pour l’éducation de l’Holocauste ».
Genc Seiti, directeur de la Division des Etats membres et des partenaires de l’Unesco, a salué les organisateurs au nom de l’Unesco et a apporté son soutien à la poursuite de ce programme de lauréats russes.
M. Samuels a remercié Graciela Vaserman-Samuels, conseillère auprès de la directrice générale de l’Unesco, pour sa contribution au programme, ainsi que le personnel du Centre, Sheila Ryan et Alex Uberti. Il a également félicité Ilya Altman pour sa sélection de lauréats de cette année, « la plus sophistiquée qui soit, les étudiants déployant une conscience aiguë de leur rôle et se tournant vers l’avenir ».
Le président de Verbe et Lumière-Vigilance, Richard Odier, a clos la cérémonie en insistant sur le besoin d’empathie : « La disparition récente de Simone Veil et de Claude Lanzmann nous fait prendre conscience que la Shoah n’est pas un simple vecteur d’éducation, mais qu’elle doit toucher les cœurs. » Il a relevé la réserve de Simone Veil pour le terme « libération », lui préférant l’expression « ouverture des portes ». « Mme Veil a démontré que sa ‘‘libération’’ par les Britanniques à Bergen-Belsen n’a pas mis fin au décès de plus de cinq cents détenus par jour, morts de faim et de maladie, ni aux meurtres qui continuaient de se perpétrer par les gardiens allemands et hongrois, retenus sur place par les ‘‘libérateurs’’ pour ‘‘maintenir l’ordre’’ ! »
Shimon Samuels intervenant à l’inauguration de l’exposition « The Holocaust: Annihilation, Liberation, Rescue »
(« L’Holocauste : extermination, libération, sauvetage »).
Le conseiller de la Fédération de Russie, Alexei Kovalenko, a invité tous les participants au lancement à l’Unesco de l’exposition coorganisée par le RHC et la délégation russe sur l’Holocauste en Union soviétique, exposition intitulée « The Holocaust: Annihilation, Liberation, Rescue » (« L’Holocauste : extermination, libération, sauvetage »). Elle a été inaugurée par Alexander Kuznetsov, ambassadeur de la Fédération de Russie, Yuri Kanner, président du Congrès juif russe, Alla Gerber, présidente du RHC, et Shimon Samuels, directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.
2018_Laureate_Aleksei_Mikhailov2.pdf
2018_Laureate_Aleksei_Rogatykh2.pdf
2018_Laureate_Carla_Kerkmann2.pdf
2018_Laureate_Mikhail_Zakharov2.pdf
2018_Laureate_Tatiana_Viktorova2.pdf