Lettre ouverte de Shimon Samuels publiée en anglais dans le Jerusalem Post
le 6 mai 2018
https://www.jpost.com/Opinion/An-open-letter-to-Jeremy-Corbyn-553588
« Vous, chef du Parti travailliste britannique, par votre silence vous avez cautionné une nouvelle forme de haine : l’agression sexuelle antisémite. »
Jeremy Corbyn, chef du parti britannique de l’opposition,
le Parti travailliste (photo Peter Nicholls/Reuters).
Monsieur Corbyn,
En tant que membre du Parti travailliste, mon oncle, Simon Bromberg, s’était joint en 1936 à la lutte contre l’Union britannique des fascistes – les Chemises noires d’Oswald Mosley –, lutte qui avait pris le nom de « bataille de Cable Street » et qui se déroulait dans le quartier est de Londres, à la forte concentration de Juifs.
Quant à moi, je suis né à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et j’ai été élevé avec la conscience aiguë qu’une bande d’eau de 40 km avait sauvé ma famille de la Shoah, perpétrée de l’autre côté de la Manche.
Dans les années 1960, alors que j’étais adolescent, j’ai embrassé la cause du Parti travailliste – contre l’apartheid et pour le désarmement nucléaire – en tant que membre du Mouvement de la jeunesse sioniste socialiste de Grande-Bretagne.
Au fil des ans, j’ai été témoin des liens entre les partis travaillistes britannique et israélien, ainsi qu’entre leurs syndicats respectifs et la Histadrout.
Malgré quelques divergences en politique étrangère, ils ont toujours entretenu des relations respectueuses : des Juifs collaboraient au sein du Parti travailliste contre une extrême droite renaissante, et le Parti condamnait inconditionnellement l’antisémitisme, même lorsqu’il était décelé dans ses propres rangs.
2005 a vu la naissance en Grande-Bretagne d’un mécanisme de surveillance et de lutte contre la haine anti-juive en général : le Groupe parlementaire multipartite contre l’antisémitisme, dirigé par le député travailliste John Mann. Cela a mené, en 2009, à la Coalition interparlementaire de lutte contre l’antisémitisme, une collaboration entre le gouvernement britannique et un groupe de travail mandaté par le Parlement européen. John Mann a travaillé à ces trois niveaux, national, régional et international.
Monsieur Corbyn, depuis votre accession à la tête du Parti travailliste, celui-ci est devenu une plateforme sans cesse grandissante d’incitation à la haine contre les Juifs. Malgré des efforts semble-t-il hésitants pour endiguer ce flux et une pseudo-enquête en cours, votre parti s’enlise de plus en plus dans ce bourbier.
Cela fait maintenant deux semaines qu’un débat a eu lieu à la Chambre des communes sur l’antisémitisme. Vous en êtes brusquement parti quand la députée Luciana Berger a apporté son témoignage personnel de Juive britannique (elle a été élue au Parlement sous l’étiquette travailliste). Vous avez donc manqué l’intervenant suivant, le député travailliste John Mann, qui n’est pas de confession juive, mais qui a révélé comment les antisémites s’en prennent non seulement aux Juifs, mais aussi à leurs amis et associés.
M. Mann a expliqué que des femmes de sa famille sont menacées de viol parce que lui défend les Juifs. Sa fille Heather a décrit dans un article du Sunday Times comment elle grandit « dans l’ombre d’actes antisémites » qui visent ses deux parents : « Depuis que mon père a dévoilé les détails des dernières menaces proférées contre nous… aucun membre du parti national n’a pris la peine de se préoccuper de notre famille. Personne… N’ai-je pas le droit d’être protégée par mon propre parti ? »
Monsieur Corbyn, tant que vous serez à la tête des travaillistes, il est clair que votre parti fera peu de cas des victimes de l’antisémitisme en son sein, qu’ils soient juifs ou non.
Les Juifs ont donné un nom à ceux qui les ont sauvés de la Shoah à leurs risques et périls : les Justes. Dans les circonstances actuelles, c’est à peine une exagération que de considérer la famille Mann comme des Justes contemporains. Ils représentent parfaitement les valeurs éclipsées des travaillistes de Cable Street, qui ont su tenir tête aux fascistes.
Monsieur Corbyn, toutes ces semaines de silence depuis les révélations de M. Mann ont cautionné une nouvelle forme de haine : « l’agression sexuelle antisémite ». Il semble que vous ayez de ce fait conduit votre parti au bord du gouffre.
Shimon Samuels
Directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal