Francfort, le 22 octobre 2023

Depuis le début des années 2000, le Centre Wiesenthal surveille la Foire du livre de Francfort (FBM – Frankfurter Buchmesse), qui se tient chaque année en octobre. Au cours des douze derniers mois, nous avons surveillé d’autres salons du livre, dans les pays arabes mais aussi en Europe, en quête de titres et d’éditeurs qui fomentent la haine et l’antisémitisme. Ces derniers sont ensuite signalés à la « foire des foires » de Francfort, où nous appelons ses organisateurs à refuser son accès aux récidivistes, conformément à son cahier des charges.

Notre action a été bouleversée cette année par l’attaque soudaine du groupe terroriste palestinien Hamas sur le sol israélien, qui a causé au moins mille trois cents morts et près de deux cents enlèvements, dont des bébés, des enfants, des adolescents, des femmes, des personnes âgées, des survivants de la Shoah, des étrangers d’au moins vingt autres pays... tous traités avec une brutalité inhumaine.

Le conflit qui s’en est suivi a occupé une grande partie du débat, au point que la remise d’un prix à l’auteure palestinienne Adania Shibli a été reportée, afin d’éviter le risque éventuel d’un rassemblement pro-Gaza.

Cette mesure de précaution a incité de nombreux éditeurs arabes et iraniens à quitter la Foire, à quelques exceptions près. Les stands saoudien, omanais, émirati ou même égyptien n’ont présenté que très peu d’ouvrages suscitant notre vigilance.

C’est ainsi que notre attention s’est portée sur les stands turcs et occidentaux.

Le stand officiel de la Turquie (hall 5.0, stand B163) présentait, entre autres, des publications qui relaient le récit des Frères musulmans, un consortium islamiste panarabe qui manipule son électorat vers un « choc des civilisations ». Plusieurs éditeurs, jusque-là inconnus de nous, ont publié des ouvrages de propagande pro-palestinienne ainsi qu’une série complète du tristement célèbre Roger Garaudy (tous ces ouvrages ont été publiés entre 2020 et 2022).

Philosophe et polémiste historique, Garaudy (1913-2012) a été un militant communiste jusqu’en 1970. À la recherche d’une cause, il a rencontré le dictateur libyen Mouammar Kadhafi et il a lu son pamphlet politique, Le Livre vert. En 1982, il s’est converti dans un centre islamique genevois contrôlé par les Frères musulmans.

De nombreux ouvrages de Roger Garaudy sont publiés par Timas Yayinlari. À la FBM, nous avons identifié :

1) Mythes et terreur d’Israël (en turc : İsrail Mitler ve Terör)

Publié pour la première fois en 1996 sous le titre original Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, ce livre rejette la revendication juive d’une patrie au « Levant », et donc la légitimité de l’État d’Israël. Garaudy prétend que la Bible est un « mythe théologique » et que les « six millions de victimes de l’Holocauste étaient aussi un mythe », une « conspiration sioniste » pour déposséder les Palestiniens de leur patrie. Il dépeint aussi le sionisme comme une idéologie terroriste et raciste qui dépend de l’antisémitisme. Ces théories diffamatoires ont valu à cet ouvrage d’être interdit en France et à Garaudy d’être condamné par les tribunaux français et européens pour antisémitisme et négationnisme. Sur son site, l’éditeur turc définit Garaudy comme « un grand philosophe, un véritable penseur, condamné à cause de ce livre qui crie la vérité dans toute sa nudité » !

2) L’Affaire Israël : le sionisme politique

Publié pour la première fois en 1983, à la croisée des chemins entre le passé communiste de Garaudy et son adhésion à l’islam politique, ce livre avait jeté les bases de ses théories du complot antisionistes, qu’il a exprimées plus tard dans Les Mythes fondateurs de la politique israélienne (voir ci-dessus).

3) Les Mythes américains - La philosophie américaine pour gouverner le monde

Publié pour la première fois en 1998 sous le titre Les États-Unis avant-garde de la décadence, cet ouvrage s’en prend à la démocratie libérale et considère le « modèle » américain comme une « maladie ».

4) La Palestine, terre des messages divins

Dans ce livre, Garaudy annonce qu’« Israël sera la cause d’une troisième guerre mondiale » et il y révèle une étrange « conspiration entre Hitler et les Juifs ».

Parmi d’autres titres et éditeurs turcs :

5) Nakba 1948, 70 ans de tragédie palestinienne (par Buyuk Felaket, Mihrabad Publications)

Livre commémorant la Nakba (« la catastrophe ») palestinienne de 1948, à la suite de l’échec de la guerre arabe à supprimer à sa naissance l’État d’Israël. Il raconte unilatéralement « les massacres, l’oppression et l’exil de 750 000 Palestiniens », ne fournissant aucune indication sur le sort des quelque 900 000 Juifs qui ont été persécutés, lynchés ou expulsés de leurs villes natales au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

6) Nom de la rébellion : Palestine - L’Intifada vaincra (sous la direction de Yucel Demirer et Sibel Ozbudun, Utopya Publisher)

Cet essai célèbre l’Intifada palestinienne, tout en rassemblant une série d’interviews et de citations d’Arafat, Barghouti, Brzezinsky, Chomsky, Kissinger et Netanyahou, entre autres.

7) La Judaïsation de la Palestine et la stratégie d’Israël pour 2097 (par Ali Arslan, Stratejik Rekabet Publishing)

Analyse géopolitique ou théorie du complot sur une prétendue « expansion territoriale » d’Israël ?

8) Acteurs régionaux - Politiques palestiniennes (par Haci Mehmet Boyraz et al, Aktif Books)

La couverture montre un contour de la carte « Palestine » qui englobe tout Israël.

Deux autres stands occidentaux :

Interlink Publishing (hall 5.1, stand C79) avec une pancarte « Nous sommes aux côtés de Gaza » exposant une multitude de livres antisionistes et pro-palestiniens aux titres dérangeants :

9) La Palestine détournée – Comment le sionisme a forgé un État d’apartheid de la rivière à la mer (par Thomas Suarez)

10) Reprendre le judaïsme au sionisme - Histoires de transformation personnelle (édité par Carolyn L. Karcher)

11) La Lutte contre le sionisme - Voix juives de la dissidence (par Daphna Levit)

Ces deux derniers ouvrages semblent s’inscrire dans la lignée des Juifs qui « s’auto-haïssent ».

Enfin, La Fabrique Éditions (hall 5.0, stand D97, apparemment en commun avec d’autres éditeurs français). Non seulement ces éditeurs expriment leur solidarité avec l’auteure Adania Shibli (voir ci-dessus), mais ils ajoutent à leur catalogue : Les Palestiniens ne seront pas réduits au silence et Les Éditeurs contre le génocide. Ils représentent généralement la gauche radicale. Au nombre de leurs ouvrages :

12) Un Boycott légitime - Pour le BDS universitaire et culturel de l’État d’Israël (par Eyal Sivan et Armelle Laborie). La campagne BDS vise à délégitimer Israël.

13) Boycott, désinvestissement, sanctions - BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (par Omar Barghouti, le père du mouvement BDS et l’un des instigateurs de l’Intifada palestinienne).

Inutile de préciser que le « Prix de la haine » annuel 2023 du Centre Wiesenthal est décerné à l’éditeur turc Timas Yayinlari, pour avoir accueilli un négationniste et théoricien du complot.

Le « deuxième prix » est partagé par Interlink et La Fabrique, pour leurs efforts combinés en vue de diaboliser Israël et de se livrer à l’antisémitisme.

Shimon Samuels
Directeur des Relations internationales
Centre Simon Wiesenthal

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