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« Le 27 janvier 2020, le monde célébrera le 75anniversaire de la libération d’Auschwitz. Ce sera probablement pour la plupart des rescapés de l’Holocauste leur dernière chance de raconter leur histoire ou de demander une restitution… Si nous, le Centre Simon Wiesenthal, obtenions l’accès aux archives de Monaco à l'occasion du 75anniversaire, cela permettrait aux familles des victimes de tourner enfin une douloureuse page. Mais si Monaco persiste à nier l'accès à ces archives, l’on ne pourrait interpréter cette position que comme une trahison de sa dette morale envers l’Histoire. »

Paris, le 16 décembre 2019

Dans une lettre adressée au ministre d’Etat monégasque, Serge Telle, le directeur des Relations internationales du Centre Wiesenthal, Shimon Samuels, lui rappelait que le Centre avait organisé à Genève, en 1997, une conférence internationale intitulée « Biens spoliées et restitution – la dette morale envers l’Histoire ».

« En votre qualité de diplomate français de carrière hautement décoré, vous connaissez certainement la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), l’un des organismes publics de restitution que notre conférence avait bien auguré », indiquait M. Samuels.

Il ajoutait : « La CIVS, qui a vu le jour il y a vingt ans maintenant, présente sur son site un rapport du 12 février 2015 établi par son homologue monégasque, la CAVS (Commission pour l’assistance aux victimes de spoliations). Fondée en 2006, cette commission répertorie non moins de 92 Juifs de la principauté qui furent arrêtés et déportés. Entre 1999 et 2019, la CIVS aurait examiné cinq demandes pour spoliation qui concernent à la fois la France et Monaco, mais elle n’aurait pas eu accès aux archives monégasques. »

Notre propre recherche dans les archives ouvertes aux Etats-Unis, en Israël et en Europe nous renvoie à des questions qui concernent la période 1940 à 1945 à Monaco.

Entre autres traces archivistiques apparaît le déni intriguant d’Adolf Eichmann, au cours de son procès en 1961, de tout contact avec les autorités monégasques, bien que des preuves contraires aient été trouvées au musée du Mémorial de l’Holocauste de Washington (USHMM).

Nos recherches en cours ont fourni des indices en ce qui concerne :

OBJETS DE VALEUR :
La saisie d’argent, de montres, de bijoux, de diamants et autres objets précieux ayant appartenu à des Juifs monégasques qui ont été arrêtés et déportés, et dont seuls quelque trente-deux sont inscrits dans les registres de Drancy, le camp de transit d’où les trains de la SNCF les transportaient à Auschwitz (source : archives du Mémorial de la Shoah de Paris).

BANQUES :
De même, les banques opérant à Monaco ont vraisemblablement bloqué les comptes ayant appartenu à des Juifs. A titre d’exemples, les documents sur l’Occupation allemande conservés aux Archives nationales françaises mentionnent deux familles de réfugiés juifs qui ont déposé leurs titres au Crédit mobilier de Monaco. Trois Juifs, désignés comme résidents à Monte Carlo, ont vu leurs comptes bloqués en Suisse, selon les listes des Banques suisses.

ŒUVRES D’ART ET BIBLIOTHEQUES :
D’après l’OBIP (l’Office des biens et intérêts privés, qui assura en France le paiement des dommages de guerre) : la saisie de deux bibliothèques contenant 3 000 volumes, dont 140 ont été restitués en 1950, et la saisie de 24 caisses emplies de livres par les Allemands, qui auraient été revendiquées par le directeur de Radio Monte Carlo, dont 57 livres furent restitués en 1947. Un organisme allemand de restitution d’après-guerre révèle des réclamations d’objets d’art spoliés, dont certains au nom du prince Albert de Monaco. Le registre Lootedart.com indique au moins trois collectionneurs (l’un déporté), résidant à Monte Carlo, mais spoliés à Paris.

VENTES AUX ENCHERES A NICE :
Les Juifs de Monaco furent déportés via Nice. Les archives des Alpes-Maritimes consignent au moins douze ventes à Nice de biens juifs entre janvier 1942 et décembre 1944.

M. Samuels priait instamment le ministre d’Etat : « Si tant d’indices sont disponibles dans tant d’archives différentes, n’incomberait-il pas à Monaco d’ouvrir les siennes propres à des chercheurs qualifiés ?... De multiples sources fournissent les noms de Juifs monégasques qui furent déportés et spoliés, bien au-delà de la liste fournie par la CAVS dans son rapport de 2015. Notre chercheur a écrit au secrétariat de cette Commission en octobre dernier. Après sa lettre de rappel datée du 4 décembre, le directeur de la CAVS, Christian Ceyssac, l’a informé qu’il n’était pas de sa compétence de répondre à notre requête d’accéder aux archives monégasques de la Seconde Guerre mondiale. »

Le Centre soulignait que, « le 27 janvier 2020, le monde célébrera le 75anniversaire de la libération d’Auschwitz. Ce sera probablement pour la plupart des survivants rescapés de l’Holocauste leur dernière chance de raconter leur histoire ou de demander une restitution ».

« Si nous, le Centre Simon Wiesenthal, obtenions l’accès aux archives de Monaco à l'occasion du 75e anniversaire, cela permettrait aux familles des victimes de tourner enfin une douloureuse page. Mais si Monaco persiste à nier l'accès à ces archives, l’on ne pourrait interpréter cette position que comme une trahison de sa dette morale envers l’Histoire », concluait M. Samuels.