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Éditorial de Shimon Samuels publié en anglais dans The Jerusalem Post
le 14 mai 2020
https://www.jpost.com/diaspora/antisemitism/the-ss-and-the-vatican-628075

Quel rôle Erich Priebke a-t-il joué ? Les archives du pape Pie XII pourraient nous donner la réponse.

14 May 2020
Le pape Pie XII, souverain pontife pendant la Deuxième Guerre mondiale, figure sur cette photo
non datée extraite des archives de l’
Osservatore Romano, organe du Vatican (photo Reuters).

Le 2 mars 2020, le pape François a tenu sa promesse d’ouvrir les archives secrètes du pape Pie XII, avec l’intention de découvrir la vérité sur le pourquoi du silence du souverain pontife pendant la guerre face à l’Holocauste.

Ceux favorables à sa canonisation parlent de sa volonté tout aussi muette de cacher des Juifs dans des monastères et même au Vatican.

D’autres prétendent qu’il préservait la « neutralité » de l’Église depuis le concordat qu’il avait signé avec Hitler avant la guerre, dans le but de défendre les catholiques contre « le danger, plus grand encore, du communisme ».

Les médias ont divulgué un rapport sur les premières conclusions des archives mais, pandémie oblige, les onze dossiers ont été refermés jusqu’à ce que les conditions sanitaires permettent de reprendre les recherches.

Entre-temps, nous relevons ici l’historique des incidents survenus à Rome, visant les Juifs et la Résistance italienne.

• L’Obersturmbannführer SSHerbert Kappler, qui supervisait la déportation des Juifs autrichiens, fut muté en Italie. Là, avant qu’il ne déportât 1 957 Juifs à Auschwitz en 1943, il avait réclamé 50 kg d’or aux dirigeants juifs, sous le prétexte de leur promettre sa protection.

• Comme Kappler entretenait des relations tendues avec le Vatican et qu’il soupçonnait ce dernier de cacher des fugitifs alliés, il aurait délégué les relations avec le Saint-Siège à son numéro deux, Erich Priebke.

• En 1947, Kappler fut condamné à la prison à vie. En 1977, malade en phase terminale, il fut transféré dans un hôpital, d’où il s’enfuit, caché dans une valise, en Allemagne. C’est là qu’il mourut, six mois plus tard.

• Quelque temps auparavant, en 1946, Priebke s’était échappé d’un camp britannique de prisonniers à Rimini, puis avait obtenu une nouvelle identité par l’intermédiaire de l’Église, ce qui lui permit de s’enfuir en Argentine.

Un coup monté par le Centre Wiesenthal en Allemagne donna lieu à une traque dirigée par Sam Donaldson, correspondant de la chaîne de télévision ABC, jusqu’à Bariloche, refuge de nombreux fugitifs nazis. C’était en mars 1994. Là, Sam Donaldson rencontra et interviewa Erich Priebke, qui était alors président de l’école allemande locale.

Mon collègue le rabbin Abraham Cooper, vice-doyen du Centre Wiesenthal, et moi-même nous sommes rendus à Rome pour demander à Silvio Berlusconi, alors Premier ministre de l’Italie, un ordre d’extradition pour l’implication de Priebke dans le massacre des Fosses ardéatines.

En mars 1944, la Résistance italienne avait tendu dans le centre de Rome un piège à une brigade de la police militaire des germanophones de la région italienne du Sud-Tyrol. Les partisans y avaient tué trente-trois Allemands. Le soir même, Hitler avait ordonné l’exécution de dix Italiens pour chaque Allemand tué, exécution qui devait avoir lieu dans les 24 heures.

Au nombre des 335 victimes de ces représailles se trouvaient des résidents de Via Rasella, le site de l’attentat, ainsi que des prisonniers antifascistes et 75 Juifs capturés dans le ghetto.

Au Public Record Office de Kew Gardens, à Londres, nous avons trouvé deux documents : l’un signé de la main de Kappler, affirmant que Priebke avait sélectionné les 335 victimes du massacre, et le second signé par Priebke, indiquant qu’il avait personnellement tué deux personnes de cette liste.

Berlusconi frappa sur la table : « Je veux que cet homme soit jugé à Rome ! »

Il nous a envoyés chez une responsable du ministère de la Justice, Liliana Ferraro. La semaine suivante, nous avons organisé avec elle un dîner à Paris, où nous avons convié un diplomate argentin, un procureur du procès Klaus Barbie et un correspondant du Herald Tribune (aujourd’hui le New York Times International) afin de rédiger ensemble l’ordre d’extradition.

Mme Ferraro nous a prévenus que, comme Priebke s’était enfui d’une prison militaire britannique, Rome allait tenir un procès militaire. Cela ne nous impressionna pas !

En 1992, j’ai été invité par le président argentin Carlos Menem à examiner en priorité les dossiers nazis du palais présidentiel, la Casa Rosada. Je lui ai annoncé qu’il manquait des documents sur Josef Mengele et qu’il n’y avait aucun dossier sur Adolf Eichmann. Menem a estimé qu’il en avait assez de mes critiques et, trois ans plus tard, n’a plus montré d’intérêt à extrader Priebke.

Nous avons alors amené en Argentine plusieurs membres des familles des victimes des Fosses ardéatines, ce qui a provoqué un impact médiatique considérable. Cela nous a pris dix-sept mois mais, en août 1995, Priebke a enfin posé le pied sur le sol romain.

Tous les mois, j’allais siéger à la cour militaire. Le concierge de mon hôtel m’a confié : « Mon grand-père a été une des victimes de Priebke. » L’opinion publique italienne nous était favorable. Priebke fut d’abord acquitté, en août 1996, pour « avoir simplement suivi les ordres ».

Les familles éplorées des victimes, guidées par le président de la communauté juive de Rome de l’époque, Riccardo Pacifici, ont occupé le tribunal en signe de protestation.

Il était minuit passé quand je reçus un appel du ministre des Affaires étrangères d’alors, Lamberto Dini. Il me demandait « de me rendre immédiatement au ministère » !

Il était assis avec un responsable du ministère de la Justice :

Q : « Que faut-il faire pour dégager ces gens du tribunal ? »
R : « Je n’y peux rien… Seules les familles des martyrs le peuvent. »
Q : « OK, alors qu’est-ce qui les fera partir ? »
R : « Un nouveau procès. »
Le responsable a répondu : « OK, je vous l’accorde ! »
Moi : « Attendez une minute… Il nous faut des motifs pour tenir un nouveau procès. »
Le responsable : « Combien d’Italiens allaient être exécutés pour chaque soldat allemand ? »
Moi : « Dix. »
Le responsable : « Oui, mais combien ont-ils été tués ? »
Moi : « 335. »
Le responsable, avec un sourire : « Alors c’est cinq de trop… Il n’a pas respecté les ordres ! »

Pourquoi était-ce si nécessaire que le tribunal soit occupé par les familles des martyrs ? Nous craignions que Priebke soit innocenté et conduit au Vatican, distant de 6 kilomètres de Rome, pour y demander l’asile. Il semble qu'il ait encore eu des contacts dans la Curie.

Il a même été allégué que Priebke avait informé un clerc proche du pape Pie XII du massacre, le matin où celui-ci devait être perpétré. Mais, plus que tout, nous voulions éviter au pape Jean Paul II tout embarras.

Après plusieurs appels, Priebke fut condamné à la prison à vie. Invoquant son âge, il fut autorisé à être détenu en résidence surveillée chez son avocat. Robuste, il mourut en 2013 à l’âge de 100 ans, et fut enterré dans une tombe anonyme.

Ce fut le premier exemple de l’aphorisme de Simon Wiesenthal : « La longévité n’est pas un motif d’impunité. » Curieusement, Priebke survécut à la plupart des leaders des familles des martyrs.

Après le massacre, l’Osservatore Romano, organe du Vatican, déplorait dans un éditorial controversé « la violence des parties coupables qui échappèrent à l’arrestation ». Nombreux furent ceux qui interprétèrent que les « coupables » étaient « les communistes, les terroristes, la Résistance ».

Nous sommes curieux de savoir maintenant si le nom de Priebke est mentionné dans les archives de Pie XII, ce que nous devrions découvrir à leur réouverture après la pandémie.

L’auteur de ces lignes et le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.